Bibliographie










Le vieux apercevait des tâches rouges de plancton au fond de cette obscurité où le soleil mettait des clartés étranges.
Le plancton le réjouit : cela signifiait l’abondance de poisson. Le soleil était assez haut et ces clartés étranges dans la mer présageaient du beau temps, de même que la forme des nuages au-dessus de la côte. Cependant l’oiseau était devenu presque invisible et rien ne se montrait à la surface, si ce n’est quelques bouquets d’herbe des sargasses, d’un jaune décoloré, et le sac rubescent, gélatineux, irisé d’une méduse qui flottait tout près du bateau. Ses filaments pourpres, longs d’un mètre, la suivaient, semblables à quelque traîne perfide.
-agua mala, dit le vieux. Putain, va !
Sans lâcher ses avirons, il se pencha légèrement pour observer de petits poissons qui nageaient sous l’ombre du mollusque à la dérive. Ils étaient du même rouge que les filaments onduleux, entre lesquels ils circulaient sans danger. Le poison de la méduse n’affecte que l’homme. Qu’un filament se trouvât arraché par une ligne, et tombât, pourpre et gluant, sur la main ou le bras du vieux, de vilaines cloques et des plaies se formaient aussitôt. La brûlure de l’agua mala est aussi douloureuse qu’un coup de fouet.
Les méduses irisées étaient charmantes. Mais c’était les choses les plus traîtresses de la mer et le vieux était content quand il voyait les grosses tortues les dévorer. Dès qu’elle les apercevaient, les tortues les attaquaient de front en fermant les yeux afin d’être protégées entièrement, puis les gobaient, filaments et tout. Le vieux adorait voir les tortues manger les méduses.
Ernest Hemingway
Ce visage éclairé d’une exquise grimace,
Et, regarde, voici, crispée atrocement, 
La véritable tête, et la sincère face
Renversée à l’abri de la face qui ment.
Pauvre grande beauté ! le magnifique fleuve
De tes pleurs aboutit dans mon cœur soucieux ;
Ton mensonge m’enivre, et mon âme s’abreuve
Aux flots que la Douleur fait jaillir de tes yeux !

***
Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poëte un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.
Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
***
Verse nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, enfer ou ciel, qu’importe ?
Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau !
Beaudelaire
Va voir, enfant, au tournant de la rue, comme les filles de Halley, les belles visiteuses célestes en habit de Vestales, engagées dans la nuit à l’hameçon de verre, sont promptes à se reprendre au tournant de l’ellipse.




Le ciel qui vire au bleu de mouette nous restitue déjà notre présence, et sur les golfes assaillis vont nos millions de lampes d’offrande, s’égarant – comme quand le cinabre est jeté dans la flamme pour exalter la vision.
***
Car tu nous reviendras, présence ! au premier vent du soir,
Dans ta substance et dans ta chair et dans ton poids de mer, …
La mer mouvante et qui chemine au glissement de ses grands muscles errants, la mer gluante au glissement de plèvre, et toute à son afflux de mer, s’en vint à nous sur ses anneaux de python noir,
Très grande chose en marche vers le soir et vers la transgression divine (…)
***
Un soir ensemencé d’espèces lumineuses
Nous tient au bord des grandes Eaux (…)
***
Femme suis-je, et mortelle, en toute chair où n’est l’amant. Pour nous le dur attelage en marche sur les eaux. Qu’il nous piétine du sabot, et nous meurtrisse du rostre, et du timon bosselé de bronze qu’il nous heurte !…
Et l’amante tient l’amant comme un peuple de rustres, et l’amant tient l’amante comme une mêlée d’astres.
Et mon corps s’ouvre sans décence à l’étalon du sacre, comme la mer elle-même aux saillies de la foudre.
***
« Tu as frappé, foudre divine ! – Qui pousse en moi ce très grand cri de femme non sevrée ?…ô splendeur ! ô tristesse ! et très haut peigne d’Immortelle coiffant l’écume radieuse ! et tout ce comble, et qui s’écroule, herse d’or !…J’ai cru hanter la fable même et l’interdit.
« Toi, dieu mon hôte, qui fus là, garde vivante en moi l’hélice de ton viol. Et nous ravisse aussi ce très long cri de l’âme non criée !…La mort éblouissante et vaine s’en va, du pas des mimes, honorer d’autres lits. Et la mer étrangère, ensemencée d’écume, engendre au loin sur d’autres rives ses chevaux de parade…
« Ces larmes, mon amour, n’étaient point des larmes de mortelle. »
***
Et la mer elle-même, notre songe, comme une seule et vaste ombrelle…
***
(…) ; pour moi ce battement très fort du sang dans la méduse du cœur d’homme.
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« …ô toi qui vas, dans le sommeil, ta part mortelle répudiant,
« Tu m’es promesse en Orient et qui sur mer sera tenue, tu m’es l’étrangeté dans la voile et le vélin du songe, et tu oscilles avec la vergue sur le grand arc du ciel couleur de rouget rose. Ou mieux, tu m’es la voile même, son office, et de la voile, l’idée pure – spéculation très chaste de l’esprit sur la surface vélique et le plan de voilure…

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Je sais qu’un peuple de petites méduses, en forme d’ovaires, de matrices, emplit déjà la nuit des anses mises à jour.

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Elles mêlaient aux événements du jour leurs vastes pupilles dilatées et leurs paupières fabuleuses en forme de navettes. A la fourche des doigts l’orbite vide du très grand masque entroué d’ombres comme la grille du cryptographe. « Ah ! nous avions trop présumé du masque et de l’écrit ! »
***
Nous faudra-t-il, haussant la bure théâtrale, au bouclier sacré du ventre produire le masque chevelu du sexe,
« Comme au poing du héros, par sa touffe de crin noir contre l’épée hagarde, la tête tranchée de l’étrangère ou de la magicienne ? »
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Pour vous, Mer étrangère, nos très grands peignes d’apparat, comme des outils de tisserandes, et nos miroirs d’argent battu comme les crotales de l’Initiée ; (…)
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(…) ensemencés d’éclairs et semoncés d’orages, comme brûlés d’orties de mer et de méduses irritantes, où courent avec les feux du large les grands aveux du songe et les usurpations de l’âme.
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“Et l’impatience est sur les eaux, du mot qui tarde dans nos bouches. Et la mer lave sur la pierre nos yeux brûlants de sel. Et sur la pierre asexuée croissent les yeux de l’étrangère… »
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« Amour, amour, face étrangère ! Qui t’ouvre en nous ses voies de mer ? Qui prend la barre, et de quelles mains ?…Courez aux masques, dieux précaires ! couvrez l’exode des grands mythes ! L’été, croisé d’automne, rompt dans les sables surchauffés ses œufs de bronze marbrés d’or où croissent les monstres, les héros. Et la mer au lointain sent fortement le cuivre et l’odeur du corps mâle…Alliance de mer est notre amour qui monte aux portes de sel rouge ! »
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« Frapperas-tu, hampe divine ? – Faveur du monstre, mon sursis ! et plus stridente, l’impatience !…La mort à tête biseautée, l’amour à tête carénée, darde sa langue très fréquente. L’Incessante est son nom ; l’innocence son heure. Entends vivre la mort et son cri de cigale…
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Et les femmes sont peintes pour la nuit au rouge pâle de corail. Ivres leurs yeux barrés de mer.
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Aux clartés d’iode et de sel noir du songe médiateur, l’anneau terrible du Songeur enclôt l’instant d’un immortel effroi : l’immense cour pavée de fer des sites interdits, et la face, soudain, du monde révélé dont nous ne lirons plus l’avers…Et du poète lui-même dans cette quête redoutable, et du poète lui-même qu’advient-il, dans cette rixe lumineuse ? – Pris les armes à la main, vous dira-t-on ce soir.
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« ô multiple et contraire ! ô mer plénière de l’alliance et de la mésentente ! toi la mesure et toi la démesure, toi la violence et toi la mansuétude ; la pureté dans l’impureté et dans l’obscénité – anarchique et légale, illicite et complice, démence !…et quelle et quelle, et quelle encore, imprévisible ?
« L’incorporelle et très réelle, imprescriptible ; l’irrécusable et l’indéniable et l’inappropriable ; inhabitable, fréquentable ; immémoriale et mémorable – et quelle et quelle, et quelle encore, inqualifiable ? L’insaisissable et l’incessible, l’irréprochable irréprouvable, et celle encore que voici : Mer innocence du Solstice, ô Mer comme le vin des rois !…
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Au point d’hypnose d’un œil immense habité par le peintre, comme l’œil même du cyclone en course – toutes choses rapportées à leurs causes lointaines et tous feux se croisant – c’est l’unité enfin renouée et le divers réconcilié.
Saint-John Perse

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Chaque fois qu’il y a quelque chose qui apparaît comme complètement antinomique et irrésoluble au point de vue contradictoire, c’est là qu’il y a les plus profondes chances de créativité. D’ailleurs, la chasteté et l’érotisme vont tout à fait ensembles.
La grande contradiction symbolique de la corne de la licorne, qui est elle-même la corne du rhinocéros, elle représente, dans le rêve, une espèce de complexe aiguë, phallique et en même temps, dans les tapisseries du moyen-âge, elle représente exactement le symbole de la chasteté.
Salvadore Dali

La réussite se définie par la puissance de mastication, c’est-à-dire que l’instrument le plus philosophique et le plus efficace, c’est les mâchoires. Philosophiquement, l’unique façon de connaître l’objet, c’est en le mangeant. C’est pour ça que dans la religion catholique, on pratique la cérémonie liturgique de manger dieu vivant. 
Tout de l’armoire à glace a passé au travers de ses viscères, de sa pure biologie.
L’unique façon de réussir, c’est de manger ce qu’on veut posséder.
Dali
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puisqu’ils grimpent à plat ventre
prennent appui sur la voix
de l’autre cassante ici-
bas ce serait têtes noms
pubs ouï-dire en fait de marches
ça pèse ou coince trop pour
pulser avec les méduses

Pierre Alferi « Kub Or »


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Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Adieu Adieu 
Soleil cou coupé 
Apollinaire - zone


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Tout à reprendre. Tout à redire. Et la faux du regard sur tout l’avoir menée !
Et tout cela qu’un homme entend aux approches du soir, et dans les grandes cérémonies majeures où coule le sang d’un cheval noir…
S’en aller ! s’en aller ! Parole de vivant.
La mer solde ses monstres sur les marchés déserts accablés de méduses. Vente aux feux des enchères et sur licitation ! Toute la somme d’ambre gris comme un corps de doctrine !
Coiffées de chouettes à présages, aimantées par l’œil noir du serpent, qu’elles s’en aillent, au mouvement des choses de ce monde, (…)
Saint-john perse – vents

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Un soir, j’ai assis la beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée.
L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront.
Au matin j’avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu.
Ah ! les poumons brûlent, les tempes grondent ! la nuit roule dans mes yeux, par ce soleil ! le cœur…les membres…
Où va-t-on ? au combat ? Je suis faible ! les autres avancent. Les outils, les armes…le temps !…
Feu ! feu sur moi ! Là ! ou je me rends. – Lâches ! – Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux !
J’ai avalé une fameuse gorgée de poison. – Trois fois béni soit le conseil qui m’est arrivé ! – Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j’étouffe, je ne puis crier. C’est l’enfer, l’éternelle peine ! Voyez comme le feu se relève ! Je brûle comme il faut. Va, démon !
J’avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. Puis-je décrire la vision, l’air de l’enfer ne souffre pas les hymnes ! C’était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je ?
Décidément, nous sommes hors du monde.
Ah ! remonter à la vie ! jeter les yeux sur nos difformités. Et ce poison, ce baiser mille fois maudit !
Elle est retrouvée !
Quoi ? l’éternité.
C’est la mer mêlée 
Au soleil.
Arthur Rimbaud – une saison en enfer
Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer ; enfantes et géantes, superbes noires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets et des jardinets dégelés, - jeunes mères et grandes sœurs aux regards pleins de pèlerinages, sultanes, princesses de démarche et de costumes tyranniques, petites étrangères et personnes doucement malheureuses.
Quel ennui, l’heure du « cher corps » et « cher cœur ».
Il s’amusa à égorger les bêtes de luxe.
Un soir il galopait fièrement. Un Génie apparut, d’une beauté ineffable, inavouable même. De sa physionomie et de son maintient ressortait la promesse d’un amour multiple et complexe ! d’un bonheur indicible, insupportable même ! Le Prince et le Génie s’anéantirent probablement dans la santé essentielle. Comment n’auraient-ils pas pu en mourir ? Ensemble donc ils moururent.
O le plus violent Paradis de la grimace enragée !
Maîtres jongleurs, ils transforment le lieu et les personnes et usent de la comédie magnétique. Les yeux flambent, le sang chante, les os s’élargissent, les larmes et des filets rouges ruissellent. Leur raillerie ou leur terreur dure une minute, ou des mois entiers.
J’ai seul la clef de cette parade sauvage.
D’un gradin d’or, - parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, - je vois la digitale s’ouvrir sur un tapis de filigranes d’argent, d’yeux et de chevelures.
- Oh ! le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n’existent pas.)
Douceurs !
O Douceurs, ô monde, ô musique ! Et là, les formes, les sueurs, les chevelures et les yeux, flottant. Et les larmes blanches, bouillantes, - ô douceurs ! – et la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques.
Le pavillon…..
Dans les ombres vierges et les clartés impassibles dans le silence astral.
Arthur Rimbaud – les illuminations