Revue de presse



L’été mystérieux à méduses 
De notre correspondant.
CE n’est pas un bracelet brésilien que porte à son avant-bras gauche Anne Toulemont, chargée des publications scientifiques à l’Institut océanographique de Monaco, mais, en forme d’une fine balafre brunâtre, le souvenir très cuisant d’une rencontre, en mai dernier, dans les eaux de Cap-d’Ail près de Monaco, avec la Pelagia noctiluca. "J’étais à quelques mètres du bord et je ne me suis pas méfiée car il n’y avait pas d’essaim. J’ai été attrapée par son bras buccal Ä c’était comme un coup de fouet Ä, qui a commencé à me digérer. Aussitôt sortie de l’eau j’aurais dû consulter un médecin car la plaie s’est surinfectée, d’où cette trace brune que je porte encore deux mois après", raconte cette scientifique... de terrain, toute heureuse cependant d’avoir pu observer la présence de ces méduses à peine nées, tout près des rochers et du Rocher, au printemps dernier.
Des cycles d’abondance
L’énigme de leurs échouages
$%C’est en effet un épais mystère que l’abondance, voire, certains étés, la pullulation, à quelques mètres des rivages azuréens, de cette Pelagia noctiluca qui, comme son nom scientifique l’indique, est un animal pélagique, c’est-à-dire qui vit ordinairement en pleine eau. "Grâce aux relevés de plancton, effectués depuis un siècle par la station marine de Villefranche-sur-Mer, nous constatons que l’abondance en méduses l’été est liée à la douceur du printemps précédent et qu’il existe des cycles d’abondance d’une durée de quatre à six années, chacun de ces cycles étant séparé d’une douzaine d’années. Ainsi l’été 1998 fait partie d’un cycle entamé en 1992, le dernier et le plus long du siècle. De 1992 à 1995 on a pu parler d’années à méduses, tellement elles pullulaient. Il y a eu une légère accalmie en 1996 et 1997, et nous assistons cette année à une recrudescence, mais sans véritable pullulation, ce qui me fait dire que nous sommes dans une fausse année à méduses", explique Anne Toulemont, qui vient de "sortir" avec Jacqueline Goy, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle, un magnifique ouvrage de vulgarisation (1) sur ces animaux élégants et fascinants qui ont inspiré bien des légendes depuis l’Antiquité. Un ouvrage qui vaut d’abord par son iconographie, tant il est vrai que les scientifiques savent au fond bien peu de choses sur les quelque neuf cents espèces de méduses actuellement recensées dans les eaux salées ou douces du globe. 
Nombre de méduses, et notamment la Pelagia noctiluca (pour phosphorescente), ne survivent pas en aquarium. Ses comportements, sa biologie sont donc difficiles à cerner avec précision. La bestiole, un parapluie gélatineux qui serait en train de perdre ses.. baleines, n’a ni céur, ni poumon, ni cerveau. C’est, au bout d’une bouche, un estomac ambulant qui passe sa vie à ingurgiter et à recracher, sous forme de pelotes muqueuses, des petits crustacés, des larves de poissons et ses propres congénères. Le vorace carnivore, qui fait partie de la grande famille du zooplancton, possède des yeux (les ocelles), généralement répartis sur le bord de l’ombrelle et, chez les scyphoméduses, une fossette olfactive (la rhopalie) reliée à un ganglion nerveux. Cet ensemble de sens primitifs serait la première ébauche intacte du système nerveux dans le monde animal, le très lointain "ancêtre", si l’on peut dire, du cerveau humain. En 1981, deux mille quatre cent soixante-dix-huit spécimens firent l’objet à ce propos, d’une étude approfondie portant sur "les sens de l’équilibre" lors d’un vol interplanétaire organisé par la NASA. 
La méduse est bien sûr connue et redoutée à cause de ses tentacules, des filaments pêcheurs plus ou moins longs selon les espèces, munis de microscopiques capsules à venin prolongées par des filaments épineux qui constituent aussi le seul système de défense de cet animal dépourvu de carapace. Le venin injecté est une toxine à la composition encore mal connue, mais qui agit à très faible dose, que l’organisme humain élimine difficilement. La Chyronex, une cuboméduse (son ombrelle est cubique), qui croise dans les eaux australiennes, vous tuerait son kangourou en quelques minutes ! La Pelagia noctiluca est classée parmi les plus urticantes et il est recommandé aux humains ayant subi une forte brûlure de ne pas se baigner à nouveau avant plusieurs mois. On ne sait, par contre, pourquoi le chinchard, tel le poisson-clown avec les anémones de mer, est totalement insensible au venin du rhizostome, cette énorme méduse dont on récolte à l’occasion les ombrelles sur les plages de l’Atlantique pour en extraire le collagène, constituant de la peau humaine, utilisé dans la fabrication des produits cosmétiques. 
$%Ces échouages de méduses, qui suivent généralement leur pullulation près des côtes, certains étés, sont une énigme. Un point important est cependant acquis, ainsi expliqué par François Simard, directeur scientifique au Musée océanographique de Monaco : "La présence de méduses n’est pas liée à la pollution de la mer ou, à l’inverse, à une qualité de l’eau excellente.. pour l’homme. On décrivait déjà des soupes de méduses du temps de la marine à voile. Aristote en parlait à son époque. En Méditerranée, les méduses sont chez elles, la mer est peuplée, ce n’est pas une piscine !"
Le facteur climatique serait prépondérant, les variations de vent et de température influant sur la circulation des eaux de mer. Mais, comme Anne Toulemont, les spécialistes restent prudents : "On peut imaginer qu’après la reproduction en pleine eau, favorisée par un printemps doux, les méduses se fassent piéger entre le courant ligure et le mistral, puis, par le jeu des courants locaux, soient poussées vers certaines plages entre Cannes et l’Italie. Mais le mécanisme entre prolifération et climat reste à préciser." Les "années à méduses", celles où l’on observe de véritables essaims vivants de Pelagia noctiluca, correspondraient également à celles où la nourriture Ä larves et crustacés Ä serait particulièrement riche, les conditions climatiques au moment de la reproduction (au début et à la fin du printemps) étant là aussi prépondérantes. Les oiseaux et tortues de mer, ses prédateurs naturels, se faisant de plus en plus rares sur la Côte d’Azur, et la salade de méduses dont sont friands les Japonais (2) n’étant pas de sitôt sur les cartes des restaurants touristiques, la Pelagia noctiluca, les photographes sous-marins et les pharmaciens ont encore quelques étés de rêve devant eux. 
PHILIPPE JEROME (1) "Méduses", par Jacqueline Goy et Anne Toulemont, dans la collection Abysses, édité par le Musée océanographique de Monaco.
(2) Faire tremper trois heures la méduse séchée (koulagué en japonais), couper en lamelles d’un centimètre et déguster froid en salade avec du blanc de poulet, du concombre et une sauce vinaigrette sucrée. Le Japon a importé pour la consommation 12 tonnes de méduses séchées l’an dernier (d’après l’ouvrage cité ci-dessus).
France INFO

Samedi 2 Juillet 2005
Méduses tueuses

C'est une bête peu ragoûtante. Elle est blanchâtre, diaphane. Elle n'a pas deux yeux mais 24. Elle n'a pas de cerveau mais elle peut tuer un homme en quelques secondes. On la surnomme la guêpe des mers. C'est une cuboméduse. Une méduse qui vit essentiellement au large des côtes de l'Australie.

Jamie Seymour, un chercheur australien, s'est spécialisé dans l'étude de ces méduses tueuses dont le nom scientifique est "Chironex fleckeri". Depuis quelques années, il tente de les suivre à la trace en leur collant un émetteur pour observer leur migration et donc prévoir leurs allers et venus.

Car en cent ans, ces drôles de bestioles ont tué soixante dix personnes en Australie, des baigneurs qui n'avaient pas pris les précautions nécessaires pour échapper aux soixante longs tentacules de plus de 4 mètres qui contiennent des milliards de cellules venimeuses. Une grande cuboméduse a assez de venin pour tuer 60 adultes. C'est sans doute l'animal le plus venimeux de la planète.

Jamie Seymour peut en témoigner. Il a une fois été en contact direct avec l'une de ces Chironex…

Cela s'est passé une nuit. Le chercheur s'est retrouvé face à une de ces bêtes, particulièrement grosse et avant même de comprendre ce qui lui arrivait, il avait les mains et les pieds enveloppés par les longs tentacules. Heureusement, il avait une combinaison de plongée qui l'a partiellement protégé. Lorsqu'il est sorti de l'eau, il était quand même sonné et n'arrivait pas à marcher droit. Et c'est grâce au vinaigre dont il s'est badigeonné la peau que Jamie Seymour est encore en vie aujourd'hui. Le vinaigre a des propriétés contre le venin urticant. En cas d'intervention très rapide, les victimes des Chironex s'en sortent avec des balafres.

Pour se protéger des cuboméduses, les municipalités australiennes doivent installer des filets au large des plages. Les tentacules sont très fins, ils flottent comme des lignes de pêche invisibles et les nageurs peuvent les frôler sans s'en rendre compte mais la douleur est immédiate et intense et si l'on ne fait pas le nécessaire tout de suite, la mort intervient en quelques minutes.

Cet été, gare aux méduses


"2003 : l'année des méduses". Le magazine La Recherche ne prends pas de gants pour annoncer l'installation de la Pelagia noctiluca, absente depuis 1998, au large des côtes méditerranéennes françaises. "Et ce pour au moins quatre ans", ajoute la revue scientifique dans son numéro de juin.
Larves et pénuries
"Contrairement aux méduses de la côte atlantique, les pélagies ne prolifèrent pas tous les ans" mais elles déferlent par milliers sur le littoral, précise La Recherche. Depuis 1986, des scientifiques de l'observatoire de Villefranche-sur-Mer tentent de comprendre le cycle de ces méduses. "Les larves prolifèrent dès le printemps sur les côtes", où la nourriture est plus abondante qu'au large, puis, en grandissant, elles migrent vers la haute mer, constatent les chercheurs. "La nuit, les pélagies remontent en surface pour se nourrir", poursuit le magazine. Une modification des courants marins ou un brassage des eaux "suffit à rabattre vers la côte des milliers d'individus", provoquant de vastes marées urticantes.
En cas de pénurie de plancton, les larves de pélagies, incapable de jeûner, meurent… les touristes bénéficient alors d'une année sans méduses. La chercheuse française Jacqueline Goy a réussi à prévoir ces périodes heureuses pour les baigneurs : d'une manière générale, "les pullulations interviennent après trois années d'un printemps chaud et sec". Celles-ci débutent tous les 12 ans et durent de quatre à six ans. Un cycle qui serait également influencé par "la résonance en Méditerranée des El Niño les plus forts", même si ce lien n'est pas "clairement démontré", indique La Recherche.
         De la piqûre à la syncope
La Pelagia noctiluca, "la méduse la plus urticante de Méditerranée", est "une espèce luminescente dont les piqûres provoquent des brûlures mais aussi des troubles plus sérieux allant jusqu'aux syncopes chez les personnes particulièrement sensibles", explique La Recherche.
Une exposition intitulée "Le miroir de Méduse, biologie et mythologie"
se tient jusqu'au 27 juillet à l'Institut océanographique de Paris.


L’Humanité
Article paru
le 25 août 1998
L’été mystérieux à méduses
De notre correspondant.
CE n’est pas un bracelet brésilien que porte à son avant-bras gauche Anne Toulemont, chargée des publications scientifiques à l’Institut océanographique de Monaco, mais, en forme d’une fine balafre brunâtre, le souvenir très cuisant d’une rencontre, en mai dernier, dans les eaux de Cap-d’Ail près de Monaco, avec la Pelagia noctiluca. "J’étais à quelques mètres du bord et je ne me suis pas méfiée car il n’y avait pas d’essaim. J’ai été attrapée par son bras buccal Ä c’était comme un coup de fouet Ä, qui a commencé à me digérer. Aussitôt sortie de l’eau j’aurais dû consulter un médecin car la plaie s’est surinfectée, d’où cette trace brune que je porte encore deux mois après", raconte cette scientifique… de terrain, toute heureuse cependant d’avoir pu observer la présence de ces méduses à peine nées, tout près des rochers et du Rocher, au printemps dernier.
Des cycles
d’abondance
$%C’est en effet un épais mystère que l’abondance, voire, certains étés, la pullulation, à quelques mètres des rivages azuréens, de cette Pelagia noctiluca qui, comme son nom scientifique l’indique, est un animal pélagique, c’est-à-dire qui vit ordinairement en pleine eau. "Grâce aux relevés de plancton, effectués depuis un siècle par la station marine de Villefranche-sur-Mer, nous constatons que l’abondance en méduses l’été est liée à la douceur du printemps précédent et qu’il existe des cycles d’abondance d’une durée de quatre à six années, chacun de ces cycles étant séparé d’une douzaine d’années. Ainsi l’été 1998 fait partie d’un cycle entamé en 1992, le dernier et le plus long du siècle. De 1992 à 1995 on a pu parler d’années à méduses, tellement elles pullulaient. Il y a eu une légère accalmie en 1996 et 1997, et nous assistons cette année à une recrudescence, mais sans véritable pullulation, ce qui me fait dire que nous sommes dans une fausse année à méduses", explique Anne Toulemont, qui vient de "sortir" avec Jacqueline Goy, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle, un magnifique ouvrage de vulgarisation (1) sur ces animaux élégants et fascinants qui ont inspiré bien des légendes depuis l’Antiquité. Un ouvrage qui vaut d’abord par son iconographie, tant il est vrai que les scientifiques savent au fond bien peu de choses sur les quelque neuf cents espèces de méduses actuellement recensées dans les eaux salées ou douces du globe.
Nombre de méduses, et notamment la Pelagia noctiluca (pour phosphorescente), ne survivent pas en aquarium. Ses comportements, sa biologie sont donc difficiles à cerner avec précision. La bestiole, un parapluie gélatineux qui serait en train de perdre ses.. baleines, n’a ni céur, ni poumon, ni cerveau. C’est, au bout d’une bouche, un estomac ambulant qui passe sa vie à ingurgiter et à recracher, sous forme de pelotes muqueuses, des petits crustacés, des larves de poissons et ses propres congénères. Le vorace carnivore, qui fait partie de la grande famille du zooplancton, possède des yeux (les ocelles), généralement répartis sur le bord de l’ombrelle et, chez les scyphoméduses, une fossette olfactive (la rhopalie) reliée à un ganglion nerveux. Cet ensemble de sens primitifs serait la première ébauche intacte du système nerveux dans le monde animal, le très lointain "ancêtre", si l’on peut dire, du cerveau humain. En 1981, deux mille quatre cent soixante-dix-huit spécimens firent l’objet à ce propos, d’une étude approfondie portant sur "les sens de l’équilibre" lors d’un vol interplanétaire organisé par la NASA.
La méduse est bien sûr connue et redoutée à cause de ses tentacules, des filaments pêcheurs plus ou moins longs selon les espèces, munis de microscopiques capsules à venin prolongées par des filaments épineux qui constituent aussi le seul système de défense de cet animal dépourvu de carapace. Le venin injecté est une toxine à la composition encore mal connue, mais qui agit à très faible dose, que l’organisme humain élimine difficilement. La Chyronex, une cuboméduse (son ombrelle est cubique), qui croise dans les eaux australiennes, vous tuerait son kangourou en quelques minutes ! La Pelagia noctiluca est classée parmi les plus urticantes et il est recommandé aux humains ayant subi une forte brûlure de ne pas se baigner à nouveau avant plusieurs mois. On ne sait, par contre, pourquoi le chinchard, tel le poisson-clown avec les anémones de mer, est totalement insensible au venin du rhizostome, cette énorme méduse dont on récolte à l’occasion les ombrelles sur les plages de l’Atlantique pour en extraire le collagène, constituant de la peau humaine, utilisé dans la fabrication des produits cosmétiques.
L’énigme
de leurs échouages
$%Ces échouages de méduses, qui suivent généralement leur pullulation près des côtes, certains étés, sont une énigme. Un point important est cependant acquis, ainsi expliqué par François Simard, directeur scientifique au Musée océanographique de Monaco : "La présence de méduses n’est pas liée à la pollution de la mer ou, à l’inverse, à une qualité de l’eau excellente.. pour l’homme. On décrivait déjà des soupes de méduses du temps de la marine à voile. Aristote en parlait à son époque. En Méditerranée, les méduses sont chez elles, la mer est peuplée, ce n’est pas une piscine !"
Le facteur climatique serait prépondérant, les variations de vent et de température influant sur la circulation des eaux de mer. Mais, comme Anne Toulemont, les spécialistes restent prudents : "On peut imaginer qu’après la reproduction en pleine eau, favorisée par un printemps doux, les méduses se fassent piéger entre le courant ligure et le mistral, puis, par le jeu des courants locaux, soient poussées vers certaines plages entre Cannes et l’Italie. Mais le mécanisme entre prolifération et climat reste à préciser." Les "années à méduses", celles où l’on observe de véritables essaims vivants de Pelagia noctiluca, correspondraient également à celles où la nourriture Ä larves et crustacés Ä serait particulièrement riche, les conditions climatiques au moment de la reproduction (au début et à la fin du printemps) étant là aussi prépondérantes. Les oiseaux et tortues de mer, ses prédateurs naturels, se faisant de plus en plus rares sur la Côte d’Azur, et la salade de méduses dont sont friands les Japonais (2) n’étant pas de sitôt sur les cartes des restaurants touristiques, la Pelagia noctiluca, les photographes sous-marins et les pharmaciens ont encore quelques étés de rêve devant eux.
PHILIPPE JEROME (1) "Méduses", par Jacqueline Goy et Anne Toulemont, dans la collection Abysses, édité par le Musée océanographique de Monaco.
(2) Faire tremper trois heures la méduse séchée (koulagué en japonais), couper en lamelles d’un centimètre et déguster froid en salade avec du blanc de poulet, du concombre et une sauce vinaigrette sucrée. Le Japon a importé pour la consommation 12 tonnes de méduses séchées l’an dernier (d’après l’ouvrage cité ci-dessus).

Sur la plage abandonnée... méduses à volonté
Si vous êtes sujet à de fortes réactions allergiques après des piqûres de méduses, mais que vous aimez les bains de mer, vous avez de quoi vous inquiéter.
D'ici 2020, la population des méduses, qui infeste déjà la plupart des mers du monde, aura pratiquement doublé. Nos nouveaux compagnons de baignade pourraient bien être ces monstres filandreux qui sont apparus sur Terre il y a 600 millions d'années, avant les dinosaures.

Concrètement, cela oblige les stations balnéaires à déployer de grands filets de protection et à créer des espaces de plages artificielles, puisque constamment protégés du large.
Ainsi Cannes, puis Monaco, ont été les deux premières stations balnéaires de Méditerranée à déployer des filets en 2007 sur certaines plages, pour protéger les baigneurs contre les méduses.
La Méditerrannée apparaît pour l'instant comme un havre de paix où les méduses sont moins nombreuses et dangereuses. A tel point qu'on comptera non seulement les touristes français sur les plages, mais surtout ceux des autres bords de mer, fuyant l'invasion.

Des monstres dignes de Vingt Mille Lieues sous les Mers

"Les eaux de la mer Noire et de la Baltique sont d'ores et déjà devenues des soupes de méduses", constate Jacqueline Goy, grande spécialiste française de ces espèces, associée à l'Institut océanographique de Paris.
Chercher refuge au bord des océans ou de mers lointaines, moins enclavées, ne sera pas forcément d'un grand secours.
Déjà, des chercheurs ont montré en 2006 que, le long des côtes namibiennes, dans l'Atlantique sud, les méduses pesaient plus lourd dans la biomasse locale que tous les poissons. Dans le golfe du Mexique, des méduses géantes inquiètent, de plus en plus souvent, les pêcheries de crevettes. En mer du Japon, de plus en plus de monstres venimeux de 200 kilos, aux tentacules s'allongeant jusqu'à 35 mètres, ont été remarqués. 
La tendance est loin d'être mineure, et il est probable que l'avenir des océans ressemble beaucoup à "Vingt Mille Lieues sous les mers": des océans vidés de leurs mammifères et envahis par les monstres et les méduses.

Climat, surpêche, mutations génétiques...La méduse gagne du terrain

Les causes de cette prolifération inquiétante? Elles sont multiples, et impliquent le plus souvent l'activité humaine. Cependant, l'une des causes premières mise en avant par les spécialistes concerne les changements climatiques.
Ainsi en Méditerrannée, les fameuses méduses mauves qui ont touché massivement les côtes espagnoles cet été, et donc les piqûres sont très urticantes (70 000 personnes ont été soignées cet été suite à des brûlures!) connaissent tous les douze ans un accroissement de leur population, lié à l'évolution des températures et à la salinité des eaux.

En raisons humaines, on compte bien sûr la surpêche de certaines espèces, comme les thons ou les tortues, qui sont les prédateurs naturels des méduses. Moins de prédateurs, donc plus de survie pour les méduses.
Un déséquilibre qui pourrait s'accentuer d'année en année:
"Les méduses sont des animaux carnivores qui ne connaissent pas la satiété", dit Mme Goy. "Elles sont faites pour manger tout le temps. Or, avec leurs filaments venimeux, elles peuvent causer des ravages équivalents, à leur échelle, à ceux des filets des pêcheurs. Plus elles seront nombreuses, plus elles décimeront les oeufs et les larves de leurs prédateurs ou de leurs concurrents."
En Baltique ou en mer Noire, les derniers bancs de harengs ou d'anchois sont ainsi en passe de disparaître. En Méditerranée, les autorités espagnoles tentent de réintroduire des tortues à proximité des sites touristiques, pour rétablir l'équilibre. 


Plus surprenant encore, la féminisation observée de certaines espèces de poissons, à cause du ruissellement des eaux humaines usées. Les hormones des pilules contraceptives ou traitements contre la ménopause, rejetées dans les urines, ne passent pas bien le filtre des stations d'épuration. Et se retrouvent ingurgitées par les poissons, suscitant des mutations génétiques graves.
Ainsi, la population des poissons n'augmentant plus, les méduses deviennent de plus en plus omniprésentes.

Cette observation doit être confirmée par des études en cours, néanmoins elle se présente comme un nouvel avantage des méduses, dont la reproduction, très complexe, est particulièrement asexuée. Même observation pour des algues microscopiques, dont la reproduction facilite la pullulation.

A terme, cette inégalité des espèces marines peut affecter tout l'écosystème des océans. Quant aux vacanciers, leurs baignades risquent de s'apparenter davantage à "l'Année des Méduses" qu'au "Lagon Bleu". Surtout si aucune mesure n'est prise contre ce fléau grandissant.

Emmanuelle Carre; Lemonde.fr; 17/09/07



20/08/1998  L'Express n° 2459

Nature
1998, année à méduses
par Frédérique d'Andrimont
 
De la Méditerranée à la mer du Nord, les urticantes bestioles sont là. Rencontre avec une spécialiste de ces organismes gélatineux
 
C'est non plus de l'eau de mer, mais de la «soupe de méduses». Cet été, elles sont revenues, en rangs serrés, près des côtes méditerranéennes. 1998 restera, pour le plus grand malheur des baigneurs, une année à méduses. Les scientifiques appellent ces petites visiteuses indésirables Pelagia noctiluca, un joli nom indiquant qu'elles brillent la nuit. Il s'agit d'êtres plutôt simples: une ombrelle gélatineuse d'où part une sorte de manche qui abrite l'estomac, l'œsophage, et se termine par la bouche. Le tout prolongé de quatre bras oraux et entouré de huit tentacules. Avec, partout, des cellules urticantes redoutées pour les brûlures qu'elles infligent aux nageurs.
On ne comprend toujours pas très bien pourquoi Pelagia noctiluca pullule certaines années en Méditerranée, ni pourquoi sa consœur Rhizostoma pulmo, moins agressive, est de retour, cet été, dans l'Atlantique et la Manche, ni pourquoi encore Cyanea envahit, elle, la mer du Nord.

Jacqueline Goy, spécialiste et admiratrice de ces «demoiselles de la mer», auteur de Méduses (1), estime qu'elles en «disent plus sur l'état des océans que la plupart des satellites». Pourtant, pendant longtemps, les cnidaires ont dégoûté plus que fasciné les savants. Et cette forme de vie, sans squelette ni cerveau, sans cœur ni poumons, exclusivement tournée vers les fonctions de reproduction, les a laissés totalement indifférents. En leur donnant le nom générique de «méduses» en 1746, par analogie avec le personnage mythologique au masque repoussant entouré de serpents, le naturaliste Carl von Linné les a mises tout en bas de la classification des organismes vivants. Il a fallu attendre les expéditions du scientifique François Péron, entre 1800 et 1810, pour découvrir leur diversité.
Cassiopea, Cladonema, Chrysaora, Cyanea, Aurelia... on connaît aujourd'hui près de 900 espèces, dont le diamètre varie de 0,3 millimètre à 3 mètres. En 1997, dans le Pacifique, une méduse géante encore inconnue a été identifiée. Le bras de cette Chrysaora achlyos mesure près de 6 mètres de longueur. «Une méduse dans l'eau, s'extasie Jacqueline Goy, c'est beau, transparent, cosmique, presque incroyable. Aujourd'hui, on n'a toujours pas fini de les recenser, encore moins de les comprendre. Il y a déjà en elles certaines traces de ce qui fait un être humain: une bouche, des yeux, des systèmes d'équilibre, une ébauche d'organe olfactif.»

En médecine, les cnidaires ont déjà fait leurs preuves. En 1902, Physalia a été à l'origine des études sur l'allergie et de la découverte de l'anaphylaxie - mécanisme de sensibilisation à certains allergènes - qui valut à son auteur, Charles Richet, le prix Nobel en 1913. Avec Rhizostoma, un industriel de Fougères s'intéresse aux propriétés de la mésoglée - la gélatine qui compose le corps des méduses - dont le collagène possède une formule chimique qui est à ce jour la plus proche de celle de l'organisme humain. Aux Etats-Unis, des centres de recherche essaient d'utiliser le pouvoir anesthésiant de leurs toxines comme substitut à la morphine.
Trouver les causes de leurs apparitions ou de leurs disparitions permettrait sans doute d'expliquer, voire de prévenir, certains phénomènes de changement du milieu marin. En Méditerranée, Pelagia noctiluca pullule de plus en plus souvent. On ne compte que sept années à méduses entre 1950 et 1980, mais douze entre 1981 et 1998. La treizième est là, sous nos yeux, sans doute liée à la chaleur ou à la pollution. Impossible encore de répondre avec précision. Les élégantes demoiselles de la mer gardent leur dérangeant mystère.

(1) Jacqueline Goy et Anne Toulemont viennent de publier cet ouvrage de 200 pages illustré de 260 photos. Editions du Musée océanographique de Monaco, 200 F.
 


31/01/2008 N°1846 Le Point
La revanche des méduses
Elles profitent du réchauffement climatique, de la surpêche et des rejets toxiques. Les méduses, véritables aliens des mers, pourraient un jour prendre la place des poissons. Enquête.
Christophe Labbé et Olivia Recasens

« La mer était rouge de sang. En trente ans je n'avais jamais vu une chose pareille. » Avec son allure de Viking, John Russell n'a pas vraiment l'air d'un émotif. Pourtant, il n'est pas près d'oublier ce qui s'est passé le 13 novembre. En pleine nuit, un gigantesque banc de méduses a attaqué son élevage de saumons au large des côtes irlandaises. « Elles sont arrivées par milliers, se sont collées aux cages. Avec leurs tentacules, elles ont injecté leur venin dans les poissons, puis les ont amenés à leur bouche. » Sept heures durant, John Russell a assisté, impuissant, au massacre. « Avec douze employés, j'ai tenté de sauver mes saumons, mais nos bateaux ont été pris dans la masse gélatineuse. Il n'y avait rien à faire. Strictement rien. » Lorsque John Russell et ses hommes atteignent enfin les cages, il ne reste plus rien des 100 000 saumons. Une affaire qui est remontée jusqu'à Buckingham Palace, puisque cet élevage irlandais de saumons bio est le fournisseur officiel d'Elisabeth II. L'année dernière, son poisson figurait même au menu de l'anniversaire des 80 ans de la reine. 
Le lendemain, les méduses sont revenues. Un essaim de 25 kilomètres carrés sur 13 mètres de profondeur. Les « piqueurs mauves », comme les appellent les scientifiques, s'en sont pris cette fois aux jeunes saumons âgés d'à peine 1 an que la Northern Salmon Company élève dans une ferme voisine. Des 140 000 poissons pris au piège aucun n'a survécu. 
Un scénario de film d'épouvante auquel il va falloir s'habituer. Dans le golfe du Mexique, les élevages de crevettes subissent désormais les assauts de méduses géantes. En Australie, lors des derniers Championnats du monde de natation, les méduses ont transformé en cauchemar les épreuves de nage en eau libre. Il y en avait partout. Au point que certains nageurs ont dû jeter l'éponge. D'autres sont sortis de l'eau, le visage boursouflé par les piqûres. « J'avais une méduse sur mon nez, sur ma bouche, je ne pouvais plus nager », a raconté, en pleurs, l'une des concurrentes, l'Italienne Federica Vitale. En Méditerranée, les baigneurs sont au bord de la crise de nerfs. Depuis cinq ans, la Pelagia noctiluca , la plus répandue des mille espèces de méduses, squatte le rivage, là où elle se contentait auparavant de brèves apparitions. « C'est du jamais-vu. Il y a des échouages massifs de méduses toute l'année, s'inquiète Gabriel Gorsky, chercheur à l'observatoire océanographique de Villefranche-sur-Mer. En décembre, j'ai traversé la rade. Sur 1 kilomètre de largeur, j'ai compté quatre ou cinq amas de plusieurs milliers d'individus. » 
« Terminator » 
De l'avis des scientifiques, les méduses sont les gagnantes du réchauffement climatique. Plus la température des océans grimpe-au rythme de 2 °C par décennie-, plus les méduses, qui raffolent de l'eau chaude, se reproduisent vite et étendent leur territoire. On en trouve désormais jusqu'en Antarctique ! Dix jours après les deux raids meurtriers en mer d'Irlande, un banc de 1 million de méduses boussoles, une espèce habituellement cantonnée en Méditerranée, était repéré au large de l'Ecosse. Ces cinq dernières années, 4 500 bancs de méduses ont été signalés rien qu'aux abords des côtes anglaises. Un nombre qui ne cesse d'augmenter.
Face à l'envahisseur, la résistance s'organise. En Espagne, un nouveau drapeau flotte sur les plages avec des méduses bleues sérigraphiées sur fond blanc. Cannes, qui, en 2006, avait dû fermer plusieurs de ses plages pendant une vingtaine de jours, a déboursé l'été dernier 80 000 euros pour s'équiper d'un filet antiméduses. Le piège flottant mis au point par la Lyonnaise des eaux a permis de récupérer 1 tonne de masse gélatineuse en quarante-deux jours. Une dizaine de villes côtières viennent à leur tour de passer commande de ce dispositif. Ces « Terminator » marins menacent même les centrales nucléaires. Attirées par l'eau tiède qui sort des circuits de refroidissement, les méduses s'agglutinent jusqu'à obstruer les filtres. Ce qui a déjà provoqué en Suède et au Japon des incidents sérieux. En France, la centrale nucléaire de Gravelines a fait appel à des biologistes marins pour tenter d'éloigner ces nucléophiles.
Non seulement la montée du mercure dans le thermomètre dope la libido des cnidaires, comme on les nomme dans le jargon scientifique, mais elle les débarrasse de leur pire ennemi. En l'occurrence, la tortue, capable de vous avaler jusqu'à cinquante méduses par jour. « Le réchauffement climatique a pour conséquence d'acidifier les océans. Comme il pleut moins, les quantités d'eau douce déversées dans les mers diminuent, ce qui augmente la salinité », explique Laurent Soulier, directeur de l'Institut des milieux aquatiques, à Bayonne. Or ce sel qui acidifie l'eau empêche les jeunes tortues de se fabriquer une carapace. 
Plus surprenant, les méduses profitent aussi de nos résidus médicamenteux. « Les pilules contraceptives et les traitements de la ménopause sont une cause probable de la prolifération des méduses », assure Jacqueline Goy, spécialiste mondiale de ces invertébrés marins. Quand cette septuagénaire débordante d'énergie n'est pas dans son bureau de l'Institut océanographique de Paris, c'est qu'elle parcourt les mers du globe à la recherche de nouveaux spécimens. Sa collection de méduses, hébergée au Muséum national d'histoire naturelle, est l'une des plus importantes au monde. 650 millions de femmes utilisent aujourd'hui la pilule contraceptive. Les hormones qu'elle contient, comme le puissant oestradiol, une fois rejetées par les urines, se retrouveraient en partie dans la mer, les stations d'épuration n'ayant pas été conçues pour éradiquer ces substances. « L'incidence de ces hormones sexuelles est un phénomène particulièrement inquiétant, dont la plupart de mes confrères biologistes marins n'ont pas conscience parce qu'ils se sont focalisés sur le réchauffement climatique, regrette la biologiste, qui a fait ses premières armes en 1968 avec Théodore Monod. Nous disposons de très peu de données sur le sujet. Et l'industrie pharmaceutique n'a pas envie que l'on cherche dans cette direction... » Récemment, le laboratoire de santé publique de la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry a montré la présence d'oestrogènes provenant des pilules contraceptives dans la Seine. « Ce sont des traces extrêmement faibles, de l'ordre du millionième de milligramme par litre, mais suffisantes pour perturber le développement sexuel des poissons », explique Yves Lévi, le responsable du laboratoire. Dans la Tamise, la Seine ou le Rhône, certains poissons se féminisent. C'est là, selon Jacqueline Goy, que la méduse tire son épingle du jeu. Cet être en partie asexué, capable de s'autoreproduire par bourgeonnement et qui ne meurt qu'une fois épuisé son stock de cellules sexuelles, n'a que faire de la disparition des mâles... 
Reléguées en bas de la classification des espèces, dépourvues de cerveau mais équipées d'yeux, capables de s'autoréparer lorsqu'elles sont blessées, les méduses font preuve depuis 600 millions d'années d'une incroyable capacité d'adaptation. Prenez la pollution des océans. Là où les poissons tournent de l'oeil, c'est une aubaine pour les cnidaires. « Plus les eaux sont polluées, mieux les méduses se portent », constate Jacqueline Goy. Explication : le zooplancton, inscrit à leur menu, prolifère. 
Goinfres 
Ce premier maillon de la chaîne alimentaire marine se développe à tout-va grâce aux nitrates, aux phosphates et aux engrais agricoles. La mer Rouge et la Baltique, saturées de polluants, ont déjà pris l'allure de véritables soupes de méduses.
En mer Noire, ces cloches gélatineuses représentent, en volume, 90 % de la faune aquatique. Et les cnidaires ont d'autant plus à se mettre sous le tentacule que la surpêche a décimé les anchois, harengs et sardines avec qui elles partageaient la gamelle. Ça tombe bien, les méduses sont des goinfres, capables d'avaler des proies trois fois plus grosses qu'elles. Portées à la bouche, celles-ci sont digérées vivantes, puis les restes recrachés par le même orifice, sous forme de pelotes muqueuses. « Ce sont des carnivores redoutables, qui ne connaissent pas le sentiment de satiété », précise Jacqueline Goy. 
« Au fur et à mesure que la population de méduses augmente, les poissons trouvent de moins en moins à manger, prévient le biologiste Martin Attrill, professeur à l'université de Plymouth, en Grande-Bretagne. Une spirale infernale. Faute de prédateurs, rien ne semble pouvoir enrayer la croissance de la masse gélatineuse. » Comme si la mer était frappée par un cancer incurable. 
Dans « Vingt mille lieues sous les mers », Jules Verne décrivait des océans vidés de leurs poissons et « encombrés de méduses ». Sa prédiction est-elle en train de se réaliser ? 
Des millions de flèches empoisonnées 
Il a suffi qu'on l'aperçoive au large pour qu'aussitôt soit interrompu le tournage du dernier film de l'actrice américaine Kate Hudson. Pas plus grande qu'un dé à coudre, l'irukandji est une méduse qui ne paie pas de mine. Pourtant, ses filaments d'une trentaine de centimètres recèlent un venin foudroyant. Heureusement, la plupart des méduses ne sont pas mortelles, sauf en cas d'allergie. Les millions de flèches contenues dans leurs tentacules délivrent un poison paralysant qui bloque l'influx nerveux. Ensuite, l'intensité de la brûlure dépend du type de méduse et de la surface du corps qu'elle a touchée. Si vous êtes piqué, un conseil : ne frottez pas la plaie, vous feriez éclater le reste des cellules urticantes déposées sur la peau. Rincez abondamment et à l'eau de mer uniquement, car l'eau douce réactive la douleur. Puis désinfectez en appliquant un linge imbibé de vinaigre ou d'eau javellisée. Les pêcheurs ont une astuce : mettre un peu de sable sur la plaie puis le retirer doucement en grattant avec une carte plastifiée. Si vous êtes piqué au visage ou à la poitrine, appelez les urgences. Non seulement la douleur met plusieurs heures à s'éteindre, mais la cicatrice ne disparaît pas avant trois à dix jours. La rencontre avec une méduse peut même laisser un souvenir indélébile...
La plus dangereuse 
On l'appelle « la main qui tue ». La « Chironex fleckeri », qui habite le nord de l'Australie, est considérée comme l'animal le plus venimeux de la terre. La douleur de ses piqûres est insupportable, l'effet de son venin, qui s'attaque simultanément au système nerveux, au coeur et à la peau, est fulgurant. La mort survient en trois ou quatre minutes, à moins de prendre de ces méduses un antivenin. Une seule possède assez de poison pour tuer soixante personnes.
La plus grande 
Comme Chrysaor, guerrier géant de la mythologie grecque qui naît une épée dorée à la main, la « Chrysaora » est une géante de six mètres, et son chapeau est décoré de rayons dorés. Ses tentacules peuvent mesurer jusqu'à 18 mètres de long, ce qui fait d'elle l'un des plus grands invertébrés de la planète.
La plus spectaculaire 
Avec son air de soucoupe volante des années 50, la méduse casquée en met plein la vue. Elle est la plus répandue des méduses. Aussi à l'aise en surface qu'à 7 000 mètres de profondeur, la « Peryphilla peryphilla » pullule dans les fjords norvégiens, où elle dévore toutes les ressources disponibles, menaçant jusqu'à la survie de la faune locale.
La plus élégante 
Une ombrelle lumineuse d'un mètre de diamètre avec de longs tentacules de cinq mètres accrochés en rubans. La « Desmonema glaciale » balade sa silhouette onduleuse dans les eaux froides de l'Antarctique. On ignore encore jusqu'à quelle profondeur descend cette familière des abysses.

par Mathieu Vidard
du lundi au vendredi de 14h à 15h
France inter

mardi 22 janvier 2008
LES MEDUSES
Il y a Méduse et méduses... La première relève de la mythologie, les secondes de la zoologie. Méduse, l'une des trois gorgones de la mythologie grecque, pétrifiait ses adversaires par la seule force de son regard. Elle est représentée avec des yeux immenses et la chevelure envahie par des serpents. Il n'en fallait pas plus pour que Linné, au XVIIIe siècle, nomme méduses ces animaux marins transparents, gélatineux, dotés de tentacules serpentiformes au pouvoir urticant venimeux.
De Nice à Marseille, les vacanciers oscillent entre exaspération et résignation : les méduses pullulent, au point que la baignade a dû être interdite sur certaines plages. En Espagne, la prolifération est telle que les autorités ont créé un nouveau drapeau, avec méduses bleues sérigraphiées sur fond blanc, pour avertir le public.
La méduse en question est la pélagie ou Pelagia noctiluca. Absente des côtes méditerranéennes françaises depuis 1998, elle a fait un retour remarqué en 2003, la revue La Recherche annonçant alors qu'elle "s'installerait" au large de nos rivages "pour au moins quatre ans". Cette prédiction, confirmée par les faits, s'appuyait sur les travaux de Jacqueline Goy, chercheuse à l'Institut océanographique de Paris : d'une manière générale, "les pullulations interviennent après trois années d'un printemps chaud et sec". Celles-ci débutent tous les 12 ans et durent de quatre à six ans.
invité
JACQUELINE GOY et JEAN MICHEL QUATREPOINT
JACQUELINE GOY est biologiste spécialiste de cnidaires , maitre de conférences au Muséum d histoire naturelle de Paris et associée à l’INSTITUT OCEANOGRAPHIQUE DE PARIS 
JEAN MICHEL QUATREPOINT est journaliste
La chronique
CAROLINE TOURBE et la chronique Médecine et biologie avec SCIENCE ET VIE
vidéos
SUPER MEDUSE
Pascal CUISSOT et Frédéric LOSSIGNOL
Documentaire
éditeur : GEDEON PROGRAMMES

Nº2014
SEMAINE DU JEUDI 12 Juin 2003

Le Nouvel Observateur 


Elle proliférera cette année en Méditerranée
Les mystères de la méduse 
Grâce aux recherches de Jacqueline Goy, on sait que le cycle de pullulation dans nos mers de cet animal gélatineux est de douze ans. 2003 sera donc l’année de la «Pelagia noctiluca»

Quand on demande à Jacqueline Goy – professeur à l’Institut océanographique de Paris et seule spécialiste mondiale des méduses – si l’un de ces monstres gélatineux carnivores pourrait engloutir un être humain, elle répond sans états d’âme: «On n’a jamais essayé, mais on voit mal pourquoi cela ne serait pas possible.» Dans ses tentacules de plusieurs dizaines de mètres, Chrysaora achlyos par exemple a coutume d’enserrer de vastes proies, de les paralyser avec ses myriades de cellules décocheuses de poison, puis de les digérer lentement. «La méduse paralyse sa proie pour la simple raison qu’elle est très fragile, et que c’est sa seule chance de survie», plaide Jacqueline Goy avec une sorte d’indulgence admirative: le monstre n’est qu’un mince rideau flasque, facilement déchirable, incapable de résister aux mouvements d’une victime rétive à la capture. Sous peine de mort, il lui faut donc instiller tout de suite son mortel venin à l’animal tombé par inadvertance entre ses tentacules. 
Quand on sait, en plus, que l’année 2003 est considérée par les biologistes marins comme une redoutable «année des méduses», avec prolifération sur toutes les plages de ces animaux gluants, on devrait avoir peur. Rassurons-nous, au moins pour les plages françaises: Aurelia, la méduse la plus présente sur les rivages de la Manche, n’est que «légèrement urticante», et bien incapable de vous engloutir. Quant à la Rhizostoma pulma, commune sur nos côtes atlantiques, elle est – par bonheur et par exception – dépourvue à la fois de tentacules et de glandes à venin. Seule la Pelagia, habituée des côtes méditerranéennes, justifie réellement la méfiance, car ses piqûres sont douloureuses. Mais de toute façon, les méduses gigantesques (comme Chrysaora achlyos) et celles aux venins les plus foudroyants (comme Chironex fleckeri) restent de lointains monstres exotiques, qui hantent les rivages australiens ou océaniens.  Chaque méduse a des yeux, des dizaines, des centaines, voire des milliers d’yeux, répartis en lisière de sa corolle. Ces «tout premiers yeux» sont l’une des raisons de la singulière vocation-fascination de Jacqueline Goy (1), ancienne chercheuse au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), pour «ce seul animal à symétrie radiaire». Ainsi, l’organe de la vue est apparu très tôt dans l’évolution animale, puisque la méduse est en somme ce qu’il y a de plus «perfectionné», tout juste après... l’éponge. La méduse possède aussi d’étonnants muscles striés, comparables à ceux des vertébrés, très avant-gardistes dans l’échelle zoologique. La méduse (on en a identifié plusieurs centaines d’espèces) possède enfin, pour se repérer dans les profondeurs abyssales, un organe d’orientation et d’équilibre sophistiqué, similaire à celui que nous possédons dans notre oreille interne. D’ailleurs, «jusqu’au stade de 32 cellules, son embryon est étrangement semblable à celui d’un futur bébé humain». Bref, la méduse est époustouflante sous tous rapports. Y compris les rapports sexuels, dans la mesure où – quoique sans le moindre plaisir apparent – elle se reproduit de toutes les façons imaginables. Depuis la fécondation sexuée «normale», jusqu’au trivial bouturage qu’affectionnent les vers de terre ou les cactus. 
La vaste gamme de ces moyens de multiplication est à l’origine du principal mystère de la méduse: ses cycles, restés longtemps imprévisibles, d’intense et soudaine pullulation. Qui empoisonnent – dans tous les sens du terme – la vie des baigneurs et changent des portions entières d’océan, ainsi que les plages, en glauques mers de gélatine urticante. On signale même des «lacs aux méduses», zones marines où cette diabolique créature a réussi à éliminer toutes les autres espèces pour y exercer un monopole absolu. Or, au moins pour ce qui concerne Pelagia noctiluca en Méditerranée, ces pullulations fluctuantes s’inscrivent désormais dans un calendrier vaguement prévisible. Ceci grâce (si l’on ose écrire) à un fâcheux accident survenu en 1983, sur une plage de son pays, à Mme Papandreou, épouse du Premier ministre grec d’alors. Victime d’un violent choc anaphylactique après contact avec une Pelagia, la jeune femme déclencha une réaction encore plus violente de son Premier ministre d’époux.  L’université d’Athènes fut illico priée d’étudier le sujet, et l’on mobilisa dans la foulée une équipe de spécialistes, sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE). Des crédits furent votés, des recherches lancées, notamment au laboratoire du MNHN, à Villefranche-sur-Mer, et sous l’égide de Jacqueline Goy. Les archives, et tous les témoignages sur les irruptions passées de Pelagia, furent scrutés. Tous les spécimens, conservés depuis des décennies dans les flacons de formol du Muséum, furent examinés, avec leurs étiquettes. «Je me suis tapé tous les bocaux», se souvient Jacqueline Goy. Résultat: un modèle mathématique prédictif fut mis au point, révélant un cycle moyen d’«environ douze ans», et annonçant, dès 1989, les millésimes des deux prochaines «pullulations» de Pelagia noctiluca: 1992 (bingo! il y eut en effet pullulation cette année-là) et 2003 (re-bingo! cette présente année, on signale des invasions de Pelagia partout en Méditerranée). 
Mais il y a aussi en 2003 plein d’autres méduses, appartenant à d’autres espèces, sur les côtes atlantiques et ailleurs. D’où la question, irrésolue à ce jour: les cycles, mis en évidence pour Pelagia, ont-ils une portée plus générale? Ou bien s’agit-il d’une coïncidence? On n’en sait rien. Et on n’en saura sans doute pas plus avant longtemps, vu la multiplicité des facteurs – notamment climatiques – susceptibles d’influer sur la capricieuse multiplication des méduses. A moins que l’épouse d’un autre Premier ministre, au bras vraiment très long, long comme un tentacule de méduse, se fasse piquer par un être gélatineux, de préférence cette fois-ci sur la côte Atlantique.  En attendant, l’étude des méduses a déjà permis à la science d’enregistrer de sérieux progrès. Même si, au début, cela n’a pas été facile: en 1901, c’est par le venin de la physalie qu’a été découvert le mécanisme de l’anaphylaxie (des inoculations successives d’un même poison déclenchent des réactions de plus en plus fortes, n’est-ce pas, madame Papandreou?). Or c’était l’exact contraire de la théorie pastorienne de la vaccination. D’où treize années d’un douloureux combat contre les dogmes de la science officielle avant de faire admettre ce concept insolite, pourtant à la base des recherches modernes sur l’allergie. Depuis, heureusement, on va plus vite: les phénomènes de luminescence, observés chez les méduses, sont à la base de tests médicaux permettant de quantifier l’oxygénation des tissus ou leur teneur en calcium. Et les facteurs responsables de cette luminescence sont utilisés pour vérifier l’implantation d’un gène dans un animal transgénique. Qu’on se le dise, c’est quand même grâce à la méduse qu’on a pu créer un lapin, puis un singe fluorescents ! 

(1) Auteur de l’exposition «le Miroir de la méduse», visible jusqu’au 27 juillet 2003 à l’Institut océanographique de Paris (www.oceano.org), qui éclaire tous nos rapports avec les méduses, des points de vue scientifique, mythologique et artistique.


Fabien Gruhier
Le Nouvel Observateur